Une nouvelle chimie pour capturer deux fois plus de CO₂
Des chercheurs de l’Institut de chimie moléculaire et supramoléculaire (ICBMS), de l’Université du Texas et du Pacific Northwest National Laboratory (PNNL) du département de l’Énergie aux États-Unis, ont découvert une chimie innovante, plus efficace, permettant de capturer deux fois plus de dioxyde de carbone. Un pas de plus en avant vers une industrie décarbonée. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Chemistry.
Alors que les températures continuent d'augmenter à la surface du globe, limiter les émissions de CO2 dans l'atmosphère peut contribuer significativement à infléchir le réchauffement climatique. Les secteurs d’activités où les combustibles à base de carbone restent nécessaires sont particulièrement concernés par cet enjeu. C’est pourquoi trouver des moyens de capturer, de stocker et d'utiliser le dioxyde de carbone (CO2) est un défi mondial majeur.
Ces dernières décennies, des progrès significatifs ont été réalisés dans cette voie, avec la création de technologies de capture du carbone efficaces, mais qui restent couteuses. Les solvants liquides basiques capturent efficacement les molécules de CO2 provenant des centrales électriques au charbon, des papeteries et d'autres sources d'émission. Cependant, tous ces produits fonctionnent selon la même chimie fondamentale : au maximum un CO2 capté par atome d’azote. C'est du moins ce que supposaient les scientifiques depuis le milieu XIXème siècle jusqu’à nos jours.
Mais des chercheurs de l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (ICBMS-CNRS/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1/CPE Lyon), de l’Université du Texas et du Laboratoire Pacific Northwest National Laboratory (PNNL) du département de l’Énergie aux États-Unis, ont été surpris de constater qu'une amine de synthèse simple se révèle encore bien plus prometteuse. Cette dernière, conçue par le département américain de l’énergie, est connue pour être efficace et peu couteuse. Or, il s’avère qu’elle pourrait stocker deux fois plus de CO2 que prévu. La structure des produits de fixation du CO2 pourrait également être la clé de la création d'une famille de matériaux riches en carbone qui permettraient d'éliminer encore plus de CO2 de l'atmosphère.
En étudiant comment ce solvant s’auto-organise en présence de CO2, les scientifiques ont identifié des superstructures moléculaires auto-assemblées. Ces superstructures sont suffisamment flexibles pour fixer successivement plusieurs molécules de CO2 et ajuster leur structure. Le CO2 finit par atteindre le cœur des architectures où se trouve une poche, similaire aux sites actifs qui existent à l'intérieur des enzymes. Cette structuration spontanée impliquant un site actif est au centre de la découverte de cette chimie inédite.
Alors que les systèmes de capture du carbone fonctionnent avec des molécules qui restent isolées et indépendantes, les superstructures incorporent le CO2 séquentiellement, en capturant et en activant d'abord une molécule, puis une seconde fixée sur la première puis transférée dans les autres sites de la poche et ce jusqu’à quatre au total par superstructure. Les chercheurs ont ainsi observé un effet coopératif : le fait qu'une molécule de CO2 soit liée modifie la façon dont la seconde molécule se lie. Ces travaux brisent ainsi le dogme : une molécule de CO2 au maximum par atome d’azote.
En concevant des systèmes coopératifs à partir d’ingrédient simples, les chercheurs espèrent pouvoir concevoir des procédés innovants et plus sobres énergétiquement pour la capture du carbone.
Une fois le carbone capturé, l'un des problèmes persistants reste de savoir ce qu'il faut en faire. Bien que le stockage du CO2 soit une option pérenne, il présente des défis logistiques et peut augmenter le coût d'un processus déjà onéreux. Trouver des moyens de convertir le CO2 capturé en produits inédits aux propriétés inattendues pourrait aider à compenser les coûts de capture et constituer une étape vers un cycle fermé du carbone.
À ce titre l’ICBMS a récemment breveté un procédé de productions de matériaux adhésifs poreux biocompatibles et issus directement du captage du CO2. C’est là où cette nouvelle chimie ouvre également des perspectives. En réunissant deux molécules de CO2 au cours de l'étape initiale de capture, ces travaux présentent une nouvelle façon d'aborder la chaine de valeur du carbone et permettent d’envisager un nouveau spectre de produits de valorisation.
« Il y a urgence à déployer des systèmes de capture du carbone », déclare Julien Leclaire, Professeur à l'université Claude Bernard Lyon 1. C’est là toute la motivation du chercheur à se concentrer sur la science fondamentale qui sous-tend la capture du carbone. Ce solvant conçu par le département Américain de l’Energie est actuellement sur des unités pilote, à l’échelle de plusieurs milliers de litres en vue d’une industrialisation. La compréhension fine de son fonctionnement lève ainsi le voile sur son incroyable efficacité et ses propriétés atypiques.
« La communauté scientifique n'explore pas toujours les détails de ces processus à l'échelle moléculaire en raison de leur complexité. Grâce à notre approche systémique, nous pouvons modéliser ces réseaux moléculaires complexes et décrypter toutes leurs caractéristiques », ponctue le chercheur qui figure parmi les lauréats des inventeurs 2024 selon le journal le Point.
Source
Leclaire, J., Heldebrant, D.J., Grubel, K. et al. Tetrameric self-assembling of water-lean solvents enables carbamate anhydride-based CO2 capture chemistry. Nat. Chem. (2024).
https://doi.org/10.1038/s41557-024-01495-z
Palmarès des inventeurs 2024
À l’initiative du Point, un jury a sélectionné les 100 équipes de pointe dont les recherches en France vont changer notre vie. Julien Leclaire, co-fondateur et conseiller scientifique de la start-up Mecaware, fait partie de ces lauréats. Il a reçu son prix lors du Paris-Saclay Summit, le 1er mars 2024.
Crédits photographie de couverture : Éric le Roux /Direction de la communication Lyon 1
Publié le 8 avril 2024